Trek des Annapurnas, Népal – Acte III – Le passage du col.
Jour 338: samedi 5 octobre 2019
ETAPE 11 : L'ETAPE OU L'ON S'EST SURPASSES Thorong Phedi (Low camp; 4450m) - Thorong La Pass (5416m) - Muktinah (3760m) |
Le jour de vérité !!!
3h15 du mat’, le réveil sonne. Malgré un sommeil un peu agité, on a pu trouver un peu de repos. Cool : on dirait que l’épreuve de la nuit en haute altitude est plutôt réussie… 🙂
Il fait nuit noire bien entendu, et la température est aussi glaciale que vous pouvez l’imaginer au milieu de la nuit, à 4’500 mètres d’altitude, dans une vallée du fin fond de l’Himalaya. On a dormi avec toutes nos couches, et nos sous-vêtements thermiques que l’on portera pour le trek d’aujourd’hui sont déjà réchauffés par la chaleur de la nuit sous le duvet.
Pas de trace de la petite souris ; on termine de préparer nos sacs et on se dirige vers la pièce commune pour le petit-déjeuner commandé pour 3h30. Le camp de base est déjà bien animé, car beaucoup de randonneurs ont planifié un départ dans la nuit pour ne pas passer le col trop tard… Il n’y a pas d’électricité à cette heure-ci (le camp est alimenté par une génératrice qui n’est mise en marche que le soir) : tout le monde s’éclaire donc à la frontale et l’ambiance est étrange. On déjeune le plus rapidement possible dans cette grande pièce mal isolée ; le froid est puissant. On ne verra pas Mark et Michelle ce matin : ils n’ont pas de lampe frontale, et ont donc planifié un départ à 5h pour bénéficier des premières lueurs du jour…
Un véritable mur se dresse devant nous. Nous sommes tout au fond de la vallée, et n’avons maintenant pas d’autre choix que de grimper en direction du col. Hier, j’ai évité de regarder cette montée impressionnante pour ne pas me décourager et ce matin, on ne la voit pas car le ciel est encore noir. 😉 Mon cœur bat fort, non seulement à cause de l’altitude, mais aussi parce que je sais que je m’apprête à tout donner pour l’effort le plus violent que j’aie jamais fait.
4h35: c’est parti.
Le ciel étoilé est absolument magnifique. Quelques lampes frontales balaient le sentier alors que l’on fait nos premiers pas sur cette pente très raide ; nous devons être une vingtaine de trekkeurs à nous suivre dans la nuit, à intervalles réguliers. Le silence est de mise. On n’entend que nos souffles, ainsi que les raclements des bâtons et des chaussures contre les cailloux du sentier.
Ça monte en zig-zag ; nous prenons 400 mètres de dénivelé positif en à peine un kilomètre. Une heure et quart de marche pendant laquelle les premières lueurs du jour font apparaître la silhouette impressionnante des crêtes qui nous entourent. Les pics enneigés se révèlent de plus en plus…
Leur sommet se pare d’une belle lueur rosée lorsqu’on parvient au High camp, à 5h45 du matin. D’autres trekkeurs ont passé la nuit ici pour raccourcir le parcours jusqu’au col ; on les voit s’activer pour rassembler leurs affaires pour le départ. Nous sommes à plus de 4’800 mètres : la nuit au High camp nous a été fortement déconseillée au profit du Low camp car à cette altitude-là, 400 mètres peuvent grandement influencer la qualité du sommeil… Mieux vaut privilégier une nuit correcte, quitte à ajouter un dénivelé supplémentaire pour le col !
La première partie est derrière nous. On observe le soleil se lever sur les géants enneigés qui nous entourent en grignotant quelques noix. Pas facile avec les gants, mais les enlever est impensable, le froid étant beaucoup trop puissant ! Jean-Baptiste et Maël nous rejoignent : ils sont partis peu après 5h du mat’ du Low camp, mais ont un rythme bien plus soutenu. Pas trace de Mark est Michelle pour le moment, ils doivent encore être dans la montée…
6h : on repart avant d’être trop refroidis. Le chemin contourne la masse montagneuse à l’arrière du High camp, pour ensuite traverser une rivière et se lancer à l’assaut des crêtes. Le paysage est rocailleux… Plus aucune trace de végétation alors que l’on s’approche de la barre des 5’000 mètres ! C’est comme le Sahara, mais pétrifié. Un véritable désert d’altitude, entouré de pics enneigés tous plus immenses les uns que les autres… Les premières lueurs du jour ont fait place à un grand soleil et un ciel bleu sans nuages : nous avons une journée absolument magnifique pour l’apogée de ce grand trek.
Ça grimpe. Une crête après l’autre. Le souffle est court, mais j’ai trouvé mon rythme et même lentement, je garde l’allure jusqu’à la prochaine cabane, la seule ‘tea house’ de l’ascension. Jean-Baptiste et Maël sont depuis longtemps hors de vue, ils ne doivent pas être loin du col maintenant. Alberto et Bobby, leurs compagnons espagnol et italienne, qui marchent à un rythme moins rapide, nous rejoignent et nous discutons 5 minutes en grignotant quelques fruits secs. Nous sommes à 5’000 mètres d’altitude.
C’est reparti. Je sens mon souffle devenir de plus en plus court : la barre des 5’100 mètres s’avérera très compliquée pour moi. Chris est aussi essoufflé bien sûr, mais il souffre moins de l’altitude. De mon côté, aucun signe de mal de tête ou quoi que ce soit d’autre, mais une telle peine à mettre un pied devant l’autre que c’en est effrayant !
Les 300 derniers mètres de dénivelé positif sont un calvaire. J’avance, mais à une lenteur monstrueuse. Crête après crête, le sentier semble interminable… La prochaine ? Non, pas encore. Celle-ci ? Non, le chemin la contourne et continue à grimper… Je n’en peux plus, la difficulté est immense. Il y a 2.5 kilomètres depuis la dernière cabane : il me faudra près de 2h30 pour les parcourir. Les jambes sont lourdes et mon cœur bat à tour rompre, à tel point que je le sens dans ma gorge et la sensation n’est pas agréable. Malgré cela, aucun signe du mal des montagnes alors on continue, on continue, on continue…
Après une distance qui paraît interminable, on aperçoit des drapeaux qui flottent dans le lointain. On y est presque !!! Il est tout juste 10h du matin ; cela fait 5 heures et demies que nous marchons, pour un dénivelé de presque 1000 mètres. J’effectue les quelques dernières dizaines de mètres en pleurant tellement l’émotion et l’effort sont immenses.
ON L’A FAIT !!!!!!!!
Nous voilà à 5’416 mètres d’altitude, au Thorong La Pass, le col réputé pour être le plus haut du monde. La sensation de fierté est incroyable et l’adrénaline est monstrueuse. On a de la peine à croire que l’on y est vraiment, après 11 jours de trek sur le grand circuit des Annapurnas… Quel symbole, quelle apothéose pour terminer ce voyage d’une année qui nous aura fait traverser tant de découvertes et de diversité ! L’émotion est indescriptible, tout comme le froid glacial qui nous transperce.
Les nuages ont fait leur apparition : nous savions qu’il fallait tenter de parvenir au col avant le milieu de matinée car après cela, le vent se lève et le passage devient de plus en plus ardu en raison de la température ressentie. Nous passons 20 minutes au col, après quoi nous sommes obligés de basculer de l’autre côté parce qu’il fait trop froid. Le moment a paru très furtif, et nous n’avons pas vraiment réalisé ce que nous avons accompli ! Il est 10h30 : on entame l’interminable descente qui nous mènera à Muktinah.
Une belle surprise nous tombe dessus alors que nous descendons depuis 10 minutes à peine : « Helloooooo… » Mark et Michelle sont juste derrière nous, ils viennent de passer le col ! 🙂
On se félicite mutuellement et on repart. De ce côté du col, le vent est beaucoup plus faible et le soleil tente de nous réchauffer du mieux qu’il peut. Malgré cela, je grelotte et ne parvient pas à me réchauffer : ma jauge d’énergie est à zéro… On s’arrête à l’abri du vent pour manger un bout de notre sandwich au fromage de yak, ce qui me fait le plus grand bien. Je ne suis pas encore au top, mais l’événement qui va nous tomber dessus dans quelques minutes achèvera de me remettre d’aplomb…
Mark et Michelle restent un moment de plus assis au soleil ; Chris et moi ré-entamons la descente. On aperçoit soudain à quelques dizaines de mètres devant nous un guide népalais qui soutient un randonneur apparemment mal en point… Il n’y a personne d’autre dans la descente : beaucoup ont passé le col plus tôt dans la matinée et ceux qui y étaient en même temps que nous se sont arrêtés plus haut au soleil pour récupérer. On s’approche de plus en plus. Le randonneur, un Chinois, est assis par terre et semble délirer. Son regard est complètement perdu dans le vide ; il se tient la cheville et répète des phrases sans queue ni tête… Le guide népalais tente de le faire lever, mais n’y parvient pas. Le Chinois (on apprendra plus tard qu’il s’appelle Guocai) se comporte comme une personne complètement ivre : c’est le portrait précis décrit par le médecin à Manang du mal aigu des montagnes mal traité ou ignoré, en train de dégénérer en œdème cérébral.
Visiblement, une seule personne ce n’est pas assez pour soutenir Guocai, qui tente maintenant de se mordre la main, et le guide népalais a vraiment de la peine à gérer la situation. La pente est raide et rocailleuse, on est en train de descendre un pierrier et Guocai manque de tomber à chaque pas ! Je prends tous les bâtons afin de désencombrer Chris et Guocai, et entreprends de descendre le plus vite possible pour trouver de l’aide. Pendant ce temps, Chris et le guide se mettent de chaque côté de Guocai pour le soutenir et le faire descendre coûte que coûte, car c’est le seul « traitement » pour le mal des montagnes.
Je descends en faisant attention de ne pas me tordre une cheville (manquerait plus que ça !), mais il n’y a personne. Alors que du côté de la montée, on croisait régulièrement des porteurs ou des guides qui proposaient des chevaux, de ce côté-ci, rien ! Je finis par trouver un couple tchèque, assis au soleil pour une petite pause dans leur descente. Ils m’avertissent avoir déjà donné une pilule de Diamox à Guocai, peut-être faut-il attendre que cela fasse effet… Chris et le guide népalais arrivent 10 minutes plus tard, soutenant toujours Guocai qui vacille sur ses pieds et dont le comportement est toujours irrationnel. On décide de l’asseoir, de lui enlever son sac et de le faire boire de l’eau en quantité. On est descendus de bien 500 mètres maintenant, et petit à petit, son agitation semble se calmer : il pleure à moitié et pique du nez en n’arrêtant pas de répéter qu’il est fatigué, fatigué, fatigué… Il semble un peu moins confus, mais l’ennui est que son anglais est extrêmement mauvais et personne ne le comprend. 🙁
Soudain, c’est la révélation : Michelle et Mark apparaissent dans la descente du pierrier… et on réalise que Michelle nous a dit pouvoir parler un peu chinois, après 3 ans à habiter en Chine !!! Vite vite vite, elle descend, s’agenouille devant Guocai et se présente en chinois. Je n’oublierai jamais le regard de Guocai à ce moment-là : il regarde Michelle et se met à parler à tort et à travers en pleurant de soulagement, c’est extrêmement touchant.
Michelle nous avait dit avoir des rudiments de chinois mais elle se débrouille bien mieux que ça ! Elle parvient à avoir une vraie conversation avec Guocai, qui nous dit avoir l’impression de sortir doucement d’un rêve, tant son esprit était confus et désorienté. Il trek seul, ce qu’il ne faudrait jamais faire, surtout à ces altitudes, et avoue avoir très mal géré la montée : il était déjà dans un état de mal des montagnes avancé en arrivant au col, et a été pris de vertiges monstrueux à la descente, au point de ne plus pouvoir tenir debout… C’est violent d’être témoin des effets de l’altitude, même en ayant été prévenus et en sachant parfaitement la liste des symptômes. Il a eu de la chance qu’on soit tous là, car son comportement était tellement confus qu’il se serait probablement assoupi sur le chemin, à la merci du froid, ou aurait fait une mauvaise chute !
A grand renfort d’eau et de snacks, ainsi que de réconfort en chinois, Guocai revient de plus en plus à lui. On est probablement suffisamment descendus pour que les effets de l’altitude disparaissent comme par magie, et il lui reste une immense fatigue. Il n’arrête pas de nous remercier en pleurant, on ne sait plus où se mettre…
Après une bonne heure de repos, Guocai semble suffisamment lui-même pour être prêt à redescendre. Il nous reste encore plus de 1’000 mètres de dénivelé négatif en 7 kilomètres, il ne faudrait pas tarder… On entame donc tous la descente en file indienne ; Mark dicte le rythme pour éviter que Guocai ne descende trop rapidement, et on le surveille tous mais heureusement, il reste debout et marche sans problème.
Lentement, les jambes en compote et l’énergie au plus bas, on descend, on descend, on descend. Ça n’en finit pas. On aperçoit le village de Muktinah au fond de la vallée, mais celui-ci ressemble à un mirage tant il a l’air de s’éloigner au fur et à mesure que l’on progresse dans sa direction. L’anglais de Guocai s’améliore un peu dans le courant de la descente et grâce aux compléments chinois de Michelle, tout le monde peut converser avec lui. Il ne s’attendait pas à de tels effets de l’altitude mais je crois que maintenant, il s’en souviendra longtemps… !
Le couple tchèque est descendu plus rapidement ; bientôt, on les perd de vue et on n’est plus que les 5. On décide de s’arrêter boire un thé dans une petite cabane, le seul « arrêt » entre le col et le village de Muktinah. Il est déjà 14h et la descente semble encore longue, mais nos jambes sont en coton… Guocai partage toutes ses réserves de nourriture avec nous et nous avons droit à des mars et des snickers. 😉
C’est reparti ! Toujours vers le bas, quelle différence avec les jours précédents. 🙂 La chaleur est de plus en plus forte à mesure que l’on descend dans la vallée.
Il est 15h45 lorsqu’on entre dans Muktinah. Nous avons l’air hagard, et sommes dans un état de fatigue physique et mentale difficilement descriptible… Le joli petit village de Muktinah paraît extrêmement accueillant (quel lieu ne le serait pas après une étape pareille ?) ; c’est sous un soleil de plomb et avec l’impression d’être revenus au niveau de la mer (alors que nous sommes encore à plus de 3’700 mètres !) que nous pénétrons à l’auberge Bob Marley, conseillée par tous les trekkeurs du circuit. Largement un cran au-dessus des autres logdes que nous avons eu ces derniers 10 jours niveau confort, le Bob Marley a de véritables airs d’auberge de jeunesse cosy ! On prend 3 chambres et on décharge nos sacs, pour notre plus grand bonheur.
La douche est une bénédiction. Eau chaude, forte pression, salle de bain toute propre et toilettes occidentales et non turques. Que demander de plus ? 12 sur 10 !!! C’est une véritable renaissance.
On se retrouve tous autour de la cheminée pour un thé à la menthe. Le bois craque et la chaleur du feu réchauffe petit à petit la pièce alors qu’on déguste un plat de pâtes aux saveurs délicieusement italiennes.
Guocai est présent, fatigué comme nous mais en pleine forme après sa mésaventure himalayenne. Il nous offre des soupes chinoises, des pommes, des cacahuètes, et partage le repas avec nous. Ses manières typiquement chinoises (beaucoup d’Italiens se retourneraient dans leur tombe s’ils le voyaient manger ses spaghettis) et son franc-parler nous font hurler de rire ; mention spéciale à son amour prononcé pour les gousses d’ail fraîches… Qu’est-ce qu’on a ri !!
C’est le cœur léger et le corps complètement exténué que l’on retourne dans nos chambres pour la nuit. Il est 19h30, on dort à poings fermés.
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