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Jours 310-311: Ceux que l’histoire bouleverse

Phnom Penh, Cambodge.

Jour 310: samedi 7 septembre 2019

Aujourd’hui, on lève le camp en direction de Phnom Penh, la capitale ! 🙂

On descend déjeuner, et nos sacs sont prêts. Pour aller à Phnom Penh, on a pris l’option mini-van, qui inclut un transfert depuis l’auberge : le chauffeur arrive à 10h, et nous amène à la station de bus générale, où l’on attend d’autres passagers.

Départ à 10h45… La route défile et les paysages de campagne aussi. Qu’est-ce que ce pays est plat ; il offre une sacrée concurrence aux Pays-Bas ! 😉 La route est en bon état et le mini-van file tout droit. On est un peu étonnés car on nous avait dit et redit que chaque trajet au Cambodge s’avérait être une véritable expédition… Visiblement, aujourd’hui, ça va ! La route semble presque neuve, peut-être a-t-on de la chance. On fait un arrêt rapide dans un restaurant en bord de route pour le dîner, puis c’est reparti… Peu avant 15h30, la route rejoint le Mékong, et on le longe jusqu’à l’entrée dans la capitale, à une vingtaine de kilomètres.

On y est ! C’était vraiment facile. 🙂 Le mini-van nous laisse au terminal de la compagnie, forcément excentré. Comme il recommence à pleuvoir, on décide d’aller au centre en tuk-tuk… De 5 dollars annoncés, le prix descend à 4 lorsqu’on dit non, puis encore à 3 dollars quand on fait mine de mettre nos sacs sur le dos pour partir à pied.

Un petit quart d’heure ‘mario-kart’ supplémentaire, et nous voilà à l’auberge Big Easy. On n’a malheureusement pas trouvé de chambre double à un prix correct, donc on sera en dortoir pour les deux prochaines nuits… Ce sont des dortoirs « capsules » comme on avait eu dans le sud de Bali ; il y en a tellement dans la chambre que l’on se croirait dans une morgue, surtout avec la température ambiante proche des 12 degrés, merci la clim’ !

Bien installés, on redescend au bar de l’auberge pour geeker un moment et organiser la suite de notre itinéraire. Il fait encore bien chaud, mais la pluie tombe dru, une véritable averse tropicale…

Ce soir, on ressort manger dans un petit resto khmer un peu plus loin dans la rue. Il n’est même pas 21h lorsqu’on l’on rentre dans nos capsules !

Jour 311: dimanche 8 septembre 2019

Malgré la clim’, on a bien dormi et il est 9h lorsqu’on descend déjeuner. Pas très matinaux ! 😉 On s’attable dans un café dans la rue de notre auberge et on papote… Le soleil est au rendez-vous aujourd’hui, grand ciel bleu ce matin.

Une chose est sûre, les électriciens thaïlandais n’ont pas fui au Cambodge.

En fin de matinée, on part explorer la ville à pied. On voudrait se rendre au Musée S-21, à 3 kilomètres de là ; plutôt qu’y aller en tuk-tuk, on préfère rejoindre l’endroit à pied pour observer quelques monuments au passage !

Ce n’est pas toujours facile de se balader à pied dans les villes asiatiques, où les trottoirs sont quasiment inexistants (pourquoi faire des trottoirs quand personne ne marche, me direz-vous?), mais on apprécie quand même nos déambulations qui nous mènent tout d’abord à proximité du magnifique bâtiment abritant le musée national d’art khmer…

Dommage, pas de palais royal pour nous : l’endroit semble barricadé et un policier nous demande même de changer de côté de la route alors qu’on longe la balustrade des jardins royaux ! Ce doit être un jour spécial, le roi attend peut-être un invité. 🙂 On continue donc notre chemin jusqu’au Monument de l’Indépendance, érigé au milieu d’un grand rond-point. Il symbolise une fleur de lotus, et représente l’Indépendance du Cambodge en 1953, jusque là sous protectorat français !

Plus loin dans les petites ruelles, on s’arrête boire un jus de fruits. On a déjeuné tardivement, et il fait bien trop chaud pour avoir envie d’un vrai dîner…

Peu avant 14h, nous voilà devant l’entrée du Musée du Génocide, plus connu sous le nom de Musée S-21. Dans la Security prison n°21 se trouve aujourd’hui le musée-mémorial retraçant les horreurs commises par le régime des Khmers Rouges entre 1975 et 1979. Ce lieu est un incontournable de toute visite au Cambodge et je tenais absolument à le visiter, tout en ayant un peu peur, j’avoue, de ce qu’on allait y trouver… Le musée rassemble, quasiment sans changement, les preuves irréfutables des atrocités qui ont eu lieu ici, l’emprisonnement dans des conditions inimaginables et les tortures infligées à ceux que les Khmers Rouges nommaient les Ennemis du Peuple. Comment un pays a-t-il pu en arriver là ? On l’apprend tout au long de la visite, extrêmement bien faite grâce à un audioguide…

Dans les années 1950-60, après l’Indépendance vis-à-vis du protectorat français, le pays n’allait déjà franchement pas bien. Il oscillait entre un gouvernement pro-Chine (communiste) et un attrait certain pour le développement pro-américain. Le Cambodge s’appelait alors le Kampuchea Démocratique, mais c’était une démocratie quelque peu chaotique.

La Guerre du Vietnam est en fait directement liée à l’avènement des Khmers Rouges, en raison des bombardements américains incessants sur les campagnes cambodgiennes. Les Américains essayaient bien entendu de détruire les bases militaires vietnamiennes installées dans le pays, mais la conséquence fut le déplacement massif des populations campagnardes cambodgiennes dans les villes du pays ; énormément de Khmers ont dû y trouver refuge, sans travail, sans famille, sans maison… Et des villes dans un tel état d’ébullition, ce n’est pas tenable longtemps.

C’est à ce moment que Pol Pot, un Khmer émigré en France et membre du Parti Communiste secret français, est revenu au pays, la tête remplie d’idées révolutionnaires. Un véritable fanatique, malheureusement accueilli en héros dans un pays en train de s’écrouler… Pol Pot avait des idées démentes de « purge » de son propre pays ; il voulait éradiquer le ‘Nouveau Peuple’, c’est à dire les gens de la ville ayant un certain niveau d’éducation ou de ‘sophistication’, et de rendre justice au peuple de la campagne, ceux qu’il appelait le ‘Peuple Ancien’. Le 17 avril 1975, son parti, les Khmers Rouges, est entré dans Phnom Penh et a commandité l’évacuation totale de la capitale (ainsi que de toutes les autres villes du pays) vers les campagnes ; le but était bien sûr de désordonner complètement l’ordre social et de couper les voies de communication… Les habitants du Cambodge ont alors connu une horrible période de famine, condamnés aux travaux forcés dans les champs pour cultiver des quantités inimaginables de riz, pour la plupart envoyées en Chine. Beaucoup sont morts sous les conditions insoutenables imposées par les Khmers Rouges.

Dans les villes-fantômes, complètement désertées par la population, des « Security Prisons » ont été ouvertes ; des lieux d’emprisonnement et d’interrogations sous la torture de ceux qui y étaient amenés, parfois sous le seul prétexte qu’ils portaient des lunettes. Les intellectuels, les étrangers, les représentants des professions tels que médecin ou avocat : tous y étaient passés à tabac sous des tortures à la cruauté sans nom et des conditions de détention qui visaient à éliminer toute dignité humaine.

S-21, la prison de Phnom Penh, était la plus importante du réseau de près de 200 prisons aménagées à travers le pays. Son chef, connu sous le surnom de Douch, était un fanatique de la torture et un grand obsédé des procédures. Apparemment, il traitait la torture comme un travail ordinaire, et faisait régner un ordre impeccable dans les dossiers de l’établissement ! A l’arrivée d’un nouveau prisonnier, on le prenait en photo avec sa date d’emprisonnement, on écrivait sa biographie… Dans son dossier était aussi contenus ses « aveux » arrachés sous la torture, et la date à laquelle il était amené aux champs d’exécution pour y être abattu et enterré dans des fosses communes. Résultat de cette procédure suivie à la lettre : le centre contenait énormément d’archives lorsqu’il a été découvert à la chute du régime. Il en manque bien entendu une partie car les bourreaux ont tenté d’en détruire le plus possible juste avant de fuir, mais celles qui restent sont actuellement inscrites en tant que Mémoire Mondiale au Patrimoine de l’UNESCO. Cela a permis à beaucoup de Cambodgiens de retrouver une trace des membres de leur famille une fois le pays libéré… On estime entre 12’000 et 20’000 le nombre de prisonniers ayant péri dans cette prison. Peut-on imaginer la désolation, le désespoir, pour les Cambodgiens qui se sont retrouvés à feuilleter des milliers de dossiers pour espérer (ou pas) y retrouver la photo de leurs proches ?

L’audioguide nous amène à travers les différents bâtiments de ce complexe de la mort, autrefois un simple collège secondaire pour les enfants de la capitale. On voit des panneaux entiers recouverts de photos des victimes, des instruments de torture, ainsi que les fers destinés à entraver les prisonniers. Les salles contiennent aussi des peintures retraçant certaines scènes de la vie quotidienne en prison. Elles ont été peintes par l’un des seuls survivants de cette prison. En fait, des 12 à 20’000 victimes, on ne compte que… 12 survivants attestés. Sept adultes et 5 enfants, dont seuls 2 sont encore vivants aujourd’hui. Ces 7 adultes ont survécu pour la seule et unique raison que les Khmers Rouges avaient découvert qu’ils avaient des talents potentiellement utiles, comme le fait de pouvoir peindre des portraits de Pol Pot pour la propagande, ou savoir réparer des machines à écrire. Ces prisonniers avaient donc un traitement de « faveur », c’est-à-dire qu’ils échappaient à la torture quotidienne et recevaient une ou deux cuillerées supplémentaires de bouillie de riz par jour !

La visite est particulièrement éprouvante lors du passage dans les cellules d’interrogatoire (torture), dans lesquelles le matériel a été laissé tel que retrouvé le jour de la libération de la prison. Il y a 14 cellules, et chacune d’entre elles contenait un corps lorsque les soldats vietnamiens ont découvert l’endroit : les 14 dernières victimes de S-21, que les Khmers Rouges étaient en train de torturer juste avant de prendre la fuite… On entend aussi plusieurs passages de témoignages des survivants ou même, les pires, des bourreaux dont le « travail » était de torturer les prisonniers quotidiennement. Heureusement, l’audioguide prévient quand certains passages seront particulièrement durs, et conseille de sortir du bâtiment pour les écouter à l’extérieur, sur un banc à l’ombre d’un arbre.

La visite se termine dans l’une des cours de la prison, où a été érigé un mémorial énumérant les noms des 12’000 victimes connues. Dans la culture bouddhiste, très présente actuellement au Cambodge, les ancêtres sont particulièrement vénérés, et c’est extrêmement déroutant pour les familles et proches des victimes de ne pas avoir de lieu de « résidence » de son âme… L’Allemagne a donc aidé le Cambodge à ériger ce mémorial pour que les familles aient un lieu où se recueillir.

Lorsque le régime des Khmers Rouges est tombé en janvier 1979 et que la prison et le pays ont été libérés par les soldats vietnamiens, Pol Pot et ses partisans se sont réfugiés vers la frontière thaïlandaise. Malheureusement, les Alliés et les Nations-Unies elles-mêmes ont continué à considérer le Parti de Pol Pot comme dirigeant officiel du Cambodge. Le pays a alors sombré dans une guerre civile entre pro-communistes et autres… Impensable !! Pourquoi ? Tout simplement parce que c’étaient eux, ou les soldats vietnamiens ; les Alliés ne pouvaient décemment pas (ceci est ironique) donner raison à leur ennemi… Ces jeux politiques sont à vomir. Le procès des dirigeants Khmers Rouges a débuté en 2009. Pol Pot est mort entre temps, mais Douch par exemple, le chef de la prison S-21, a été condamné en 2012 à la prison à vie pour crime contre l’humanité… On entend d’ailleurs quelques passages des témoignages des proches des victimes lors de son procès. La colère et le chagrin contenus dans leurs voix sont extrêmement émouvants.

On est bien secoués quand on sort de là ! Proches de la sortie du musée, les deux survivants sont présents, assis à une table : ils vendent leur livre en témoignage des horreurs vécues… Le courage qu’ils ont de revenir dans l’enceinte de cette prison me donne envie de pleurer. La visite aura duré 3 heures, pendant lesquelles on nous a expliqué l’inexplicable. Comment un peuple peut-il se relever après tant d’horreur, comment peut-on concevoir que l’espèce humaine soit capable d’une telle cruauté ? Nous sommes sans mots…

N’ayant pas envie de payer pour un tuk-tuk, on rentre vers notre auberge à pied. Pour cela, on passe dans le quartier des ambassades où s’alignent des baraques de malade, des restaurants chics servant de la nourriture internationale et même… une école Montessori (cela m’étonnerait que le Cambodgien moyen puisse y inscrire ses enfants).

Il fait déjà quasiment nuit lorsqu’on arrive dans la rue de notre auberge vers 18h. N’ayant rien mangé pour le dîner au final, notre estomac nous rappelle à l’ordre… On s’attable dans un resto au coin de la rue pour souper, et on rentre dans nos capsules sans tarder. La journée a été éprouvante émotionnellement parlant !!

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